24/10  23/12/23
Morvarid K
« This Too Shall Pass »

Bigaignon

© Bigaignon
© Bigaignon

La galerie Bigaignon présente du 24 octobre au 23 décembre la première exposition personnelle de l’artiste iranienne Morvarid K dans ses murs depuis l'annonce de sa représentation en mai 2022. Cette exposition, intitulée « This Too Shall Pass », se focalise sur la thématique des feux de forêt et l'évolution de la perception humaine face à ces désastres écologiques. L'exposition fait suite à l’acquisition par la Bibliothèque nationale de France de trois oeuvres de cette même série et permet de déployer à l’échelle de son espace l’étendue de la série, exposée partiellement à Amsterdam en septembre dernier lors d’une participation à la foire Unbound. 

Née à Téhéran en 1982, Morvarid K trouve dans son attachement à l’identité iranienne le fondement de son rapport au monde et de sa sensibilité artistique. À travers la manipulation de la matière photographique, son travail questionne notre relation au monde, la mémoire transformatrice et l’entre-deux. Le support photographique est le point de départ, il ancre son travail dans la réalité, tandis que les techniques de superposition et de transformation apportent les expressions supplémentaires que la photographie ne saurait capturer. Accablée par les images des incendies en Australie en 2019 et 2020, Morvarid K ressent le besoin impérieux de s’y rendre et de voir les paysages statiques, silencieux, vides, de constater l’absence écrasante de vie, de se confronter à ce qui subsiste malgré la dévastation. Débutée en Australie en 2020 et poursuivie en France en 2021 et 2022, la série « This too shall pass » questionne la complexité de la perception humaine, le mécanisme d’ajustement qui nous permet d’apprivoiser le brutal, le destructif, de rendre supportable le Thanatos.

Le projet se divise en trois temps : la persistance du passé qui relate la difficulté première à accepter la destruction causée par le feu ; la trace du présent, le moment de prise de conscience et le souhait d’être au plus près de la problématique pour mieux la comprendre ; et, enfin, le tissage du futur, le moment où le sujet glisse en arrière-plan et notre attention se tourne vers d’autres choses, bien que les méga-feux persistent. À la première vue de ce paysage dévasté, une sorte de déni s’installe, caractérisé par une compensation visuelle, une persistance rétinienne rassurant et remplaçant le noir par du vert. Un tissage mental qui s’estompe pour laisser transparaître le réel. C’est alors le temps de prendre la mesure des choses, à en recueillir une trace tangible par le corps à corps. Morvarid K recueille les empreintes charbonneuses de troncs d’arbres calcinés en les enveloppant avec des tirages photographiques faits in situ. La voix silencieuse des arbres se mêle alors à son écriture photographique. Ces prises d’empreintes se matérialisent par le passage d’une risographie monochrome (fort contraste entre le vert et le noir) à un tirage couleur sur papier Kuzo (qui adoucit les traits et camoufle le noir), qui souligne ainsi le début du glissement du sujet vers l’oubli. Une installation de charbons provenant des divers forêts brulées, complète le propos.

Vient enfin le temps de la banalisation du sujet qu’illustre l’utilisation de fragments photographiques aux contours brulés, représentant des écorces d’arbres vivants. Dans ce corpus, cet amas dense, est annonciateur et dénonciateur de l’intensification des feux. Les contours brulés et la disparition progressive de l’image au profit d’un espace vide et blanc, soulignent la destruction des forêts, ainsi que l’estompement du sujet dans nos esprits. Dans l’œuvre de Morvarid K, le tirage devient un matériau, une étape dans le processus créatif, avant que leg este, ou l’expérience performative ne viennent compléter l’œuvre. Artiste plasticienne et performeuse, Morvarid K tente de désacraliser le tirage et n’hésite pas à recouvrir presque intégralement ses épreuves de petits traits réalisés au stylo. Le papier photographique est alors paradoxalement sublimé et l’acte physique du tirage, traditionnellement voué à la chambre noire, y est déporté ou prolongé au- delà de ses murs.