19/01  21/02/24
Mitja Tušek
« Ici, ailleurs »

Galerie Ceysson & Bénétière, Domaine de Panéry

Mitja Tušek, Deeply moving, 240 x 180, huile sur toile, 2017 © Studio Rémi Villaggi
Mitja Tušek, Deeply moving, 240 x 180, huile sur toile, 2017 © Studio Rémi Villaggi

La galerie Ceysson & Bénétière présente Ici, ailleurs, une exposition personnelle de l'artiste Mitja Tušek au Domaine de Panéry du 19 janvier au 21 février 2024.

Les paysages évanescents que peignaient Tušek à la fin des années quatre-vingt observaient la loi fondamentale du genre, celle d’un horizon séparant la terre du ciel ; encore ce dernier était-il étiré de telle sorte que sa disparition était à terme inéluctable. Avec ses peintures de 2006 à 2019, désignées comme « forêts », l’espace est sans repère, le regard se perd dans un fouillis resserré de teintes vertes et bleues, parfois brunes, dont la matière présente des trames régulières.

Tušek procède par application, non pas de la toile sur la toile, mais de feuilles de papier bulle imprégnées de peinture sur la toile. Par ce moyen - d’un même mouvement, le plastique pose, repousse et aspire la peinture -, la profondeur apparaît en pleine surface et le regard est amené à se perdre dans des accidents successifs, qui se résolvent finalement en un ensemble cohérent. L’émergence d’un procès figuratif est de nouveau aléatoire, mais terriblement effective : nous sommes confrontés, moins à l’image déjà accomplie d’un paysage, qu’à la formation cellulaire de ce qui finit sous nos yeux par le constituer. Comme on le sait, il n’y a de paysage que pour celui qui en est suffisamment détaché pour le voir comme tel ; le sous-bois, lui, ne trouve sa réalité propre que pour celui qui s’y perd, marche fictive et regard actuel associé dans le même trouble. 

La forêt à laquelle songe Mitja Tušek peut être comprise comme celle, antérieure à toute civilisation, que ne traverse aucun chemin, que ne coupe aucune clairière, d’où le ciel serait observable.

Un monde en soi avant l’entreprise civilisatrice qui l’a rendue visible en l’asservissant, une « nature » qui ne peut même être désignée comme telle. « Sans ces contrées extérieures » « les persécutés, les proscrits, les égarés, les mystiques ont cherché refuge », il n’y a plus, pour Robert Harrisson, « d’intérieurs où habiter ».

Les sous-bois de Tušek appartiennent à un domaine totalement étranger aux prétentions humaines, se déploient comme une région essentiellement inconnue, mais dans laquelle précisément il peut à nouveau exercer ses sens, hors la loi qui contraint le regard à reconnaitre un point de fuite. 

Ces forêts ne se réfèrent à un quelconque modèle. Elles se manifestent avec le même caractère abrupt, le même aplomb qu’une réalité qui s’invente de toutes pièces au lieu du regard.

Alain Cueff, extrait du texte, L’axe de la peinture, 2018