La galerie Ceysson & Bénétière présente du 30 janvier au 22 mars 2025 dans son espace lyonnais une exposition collective sur le thème de la fabrique du paysage, rassemblant des œuvres de Pierre Buraglio, Claire Chesnier, Jérémy Liron et Tania Mouraud. Intitulée « Format paysage », celle-ci s’attache à croiser les regards de ces quatre artistes à l’horizon de ce genre pictural né au XVIe siècle. L’exposition a été conçue par Anne Favier, maîtresse de conférences en sciences de l’art et membre de l’unité de recherche ECLLA du département arts plastiques, Université Jean Monnet de Saint-Étienne.
À partir du XVIe siècle, le paysage s’instaure en « genre pictural » – selon la classification académique – : les fonds des tableaux remontent vers les premiers plans et ouvrent de nouveaux champs iconiques. Structuré par le regard, le paysage est tout d’abord une opération de cadrage, une projection des dehors, une construction des lointains, une étendue imaginaire, un processus d’artification : voir le monde en paysages. Les artistes ne cessent de reconfigurer cette invention et de questionner les horizons de la fabrique du paysage.
Peindre d’après le genre paysage qui fait effraction dans les œuvres de Pierre Buraglio. L’artiste s’arrange pour mettre en pièce la dramaturgie du pittoresque et revenir au tableau. Il décompose par exemple la mécanique de l’horizon : raccordés, montés, encadrés, deux pans se distinguent en plans et construisent l’illusion d’un panorama, mais simultanément, ils nous ramènent à la matérialité de leurs surfaces. D’autres pièces rapportées – cadres de sérigraphie tronqués, fragments de peintures de paysages glanées, repentirs d’architectures... – sont assemblées en paysages de peinture. Par ailleurs, les sections de châssis vitrés, montants/verres colorés – relèvent de paysages métonymiques et nous rappellent que « la fenêtre est le lieu du paysage. Le paysage a lieu dans la fenêtre »1. Par la fenêtre, le « dehors » se fait paysage. La veduta est dès-lors enchâssée dans l’iconique porte de 2 CV, comme un cadre, comme un tableau. Elle contient la mémoire (le « vécu » selon l’artiste) des paysages parcourus. Sa fenêtre qui a vu défiler les paysages qu’elle a recadrés est rehaussée de peinture. A sa surface, par recouvrement, les coups de pinceau filés à l’horizontale opacifient le plan vitré et font écran à l’illusion perspective. « L’horizon c’est la peinture » rappelle Pierre Buraglio.
Chez Jérémy Liron, les lumineux ciels bleus comme des écrans picturaux tendus à la surface de la toile font écho à cette paradoxale « profondeur plate » chère à Buraglio. Liron partitionne également le paysage, il agence, syncope et fait décoïncider les plans, il dépeint le paysage comme architecture du regard. Le conventionnel format paysage est souvent renversé : dans les compositions verticalisées les éléments paysagés contrastés sont diversement recadrés par des structures qu’ils prolongent, débordent, redoublent. Cadres et fenêtres façonnent les Paysages de Jérémy Liron et surlignent leur rythmique géométrique. Parallèlement les motifs végétaux et organiques viennent perturber la quadrature de cette trame. L’artiste laisse aussi transparaitre aux bords des tableaux, le feuilletage des sous couches, les dessous de la peinture. Ainsi, les profondeurs représentées sont-elles rabattues en plans colorés à la surface de la représentation. Par endroits, le paysage en hors champ est encore projeté en ombres et lumières.
Le motif du paysage est encore suspendu dans les sillages des nappes de couleurs enchevêtrées à l’encre sur papier dans les œuvres de Claire Chesnier. Les lumineux champs colorés modulés de manière organique dissolvent tout point focal, et par là-même, tout repère spatial. A perte de vue, les encres effilées plein cadre, comme des fragments d’immensités diaphanes, s’ouvrent à la contemplation. L’expérience d’une profondeur de champ hors limite confère alors au sublime. « Je suis debout, face à ces grands panneaux, ces champs [...] jouant de dégradés, de rivages, d’halos [...]. Je bascule dans la sensation. Je perds la perception du sol. Gagne un vertige ... », écrit Jérémy Liron. De ces abstractions verticales, à l’échelle du corps, affleurent des horizons liquides et l’impression d’évènements météorologiques pigmentaires qui se déploient, d’une œuvre à une autre. Au-delà de toute représentation, les étendues atmosphériques sont des paysages géologiques où les surfaces découvrent les stratigraphies diffuses de voiles de couleurs cristallisés qui rayonnent dans l’épaisseur du papier.
Les œuvres de Pierre Buraglio, Claire Chesnier, Jérémy Liron et Tania Mouraud, mises en regard dans cette exposition, réinvestissent les lieux communs du paysage, en redéfinissent les points de vue et en dévoilent les hors champs.
Anne Favier, commissaire de l’exposition