La Fondation Hartung-Bergman présente du 15 avril au 27 septembre 2024 l'exposition « Le partage du sensible ». À Bergman et Hartung, voilà que s’ajoute pour la première fois au sein d’une exposition de la Fondation un troisième nom dont, avouons-le, seuls quelques rares spécialistes et amateurs seront familiers : celui de Terry Haass. Cette femme, née Thérésa Goldman en 1923 en Tchécoslovaquie, a produit une œuvre riche, très diverse, dominée par une remarquable pratique de l’estampe et de la sculpture, et par un langage abstractisant qui ne se coupe jamais complètement des motifs. On peut mentionner en particulier ceux des sciences physiques, des grands ailleurs géographiques et des mythes fondateurs, ce qui, d’emblée, la place dans la même famille artistique que celle de Hans Hartung et, plus encore, d’Anna-Eva Bergman qu’elle rencontre en Norvège en 1951.
Mais, à ce premier apparentement, s’en ajoute bien d’autres, d’ordres biographique et, pourrait-on dire, moral. Terry a connu, elle aussi, les drames de l’Histoire. Elle est juive, fuit les nazis qui assassineront son père, pâtit de son genre dans un milieu très masculin, travaille comme archéologue, se consacre à sa création sans avoir de descendance, s’installe en France alors qu’elle est étrangère jusqu’à sa mort en 2016.
Et puis, malgré les épreuves et les souffrances, elle ne sacrifie pas sa curiosité, ni son humour, ni ses engagements caritatifs. Surtout, stoïque et obstinée, elle ne cède rien de sa foi en la création, à laquelle elle se consacre résolument, avec abnégation et la conviction qu’elle offre une lumière, si fragile soit-elle, pour s’y retrouver dans le chaos de l’univers, et peut-être même pour réordonner un peu celui-ci.
Dans ces affinités électives qui unirent Terry, Anna-Eva et Hans, il y eut une grande complicité nimbée de respect, et certainement aussi une circulation du regard, des halos d’influences. Il faut par ailleurs souligner que Bergman, tellement reconsidérée depuis quelques années, n’a pas eu de son vivant suffisamment d’artistes qui aient manifesté leur admiration à son endroit. Excepté Hans, Terry Haass fut la seule à mener explicitement des hommages à Anna-Eva Bergman, sous les formes d’un portfolio composé de collages lithographiés et d’un sublime monument. Ce dernier est au Centre d’art Henie-Onstad d’Høvikodden ; on en découvrira ici les origines dans d’émouvantes archives. Car, en plus d’un foisonnement d’œuvres, le « partage du sensible » (expression empruntée au philosophe Jacques Rancière) entre ces trois amis est restitué dans la présente exposition par d’innombrables documents – lettres, photographies, catalogues…
Enfin, cet événement bénéficie de deux apports cardinaux. Le premier, c’est une donation dont la Fondation fut l’heureuse destinataire, issue de la succession de Terry Haass. Nous l’avions certes déjà évoquée publiquement et en avions montré des fragments en 2023 mais grande est aujourd’hui la satisfaction de la faire pleinement vivre parmi notre fonds originel. Le second apport cardinal, c’est celui du binôme qui a orchestré tout ce travail de recherche et de monstration : Christian Manuel, médecin et exécuteur testamentaire de Terry Haass et Christine Lamothe, experte de Bergman à la Fondation. L’un et l’autre furent des intimes de Terry. Ils ont donc pu mettre leur connaissance au service de sa mémoire et de son aura posthume. C’est ainsi que la matière sensible de son œuvre et la sensibilité immatérielle qui en émane sont désormais en partage.