01/03  19/05/24
« Épopées Célestes :
Art Brut dans la collection Decharme »

Académie de France à Rome – Villa Médicis

John Bunion Murray, Sans titre, Entre 1978 et 1988, Encre et gouache sur papier, 35,5 x 26,5 cm © Collection Bruno Decharme
John Bunion Murray, Sans titre, Entre 1978 et 1988, Encre et gouache sur papier, 35,5 x 26,5 cm © Collection Bruno Decharme

Commissaires : Bruno Decharme et Barbara Safarova 
Avec : Caroline Courrioux et Sam Stourdzé 

L’Académie de France à Rome – Villa Médicis présente du 1er mars au 19 mai 2024 l’exposition ÉPOPÉES CÉLESTES. Art Brut dans la collection Decharme, qui rassemble une sélection de 180 œuvres de la collection de Bruno Decharme, véritable panorama de l’art brut. 

Le concept d’art brut est attribué au peintre français Jean Dubuffet (Le Havre, 1901 – Paris, 1985) qui constitue à partir de 1945 une collection d’objets et de productions réalisés par des patients d’hôpitaux psychiatriques, des détenus, des personnes marginales, solitaires, « hors système ». Ces créateurs autodidactes produisent sans se préoccuper du regard d’autrui et participent à la formation de langages nouveaux, d’inventions ou de techniques.  Dans l’ouvrage L’Art Brut préféré aux arts culturels (Paris, Galerie René Drouin, 1949), Jean Dubuffet définit l’art brut comme « des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (…) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. ».  

L’art brut n’a cessé de bousculer l’histoire de l’art et de nourrir les esprits réfractaires aux normes, questionnant les notions classiques de l’art et de la création mais aussi ceux du normal et du pathologique. Mais qui sont-ils, ces artistes d’un genre particulier, témoins d’un autre monde, étrangers aux courants et aux influences stylistiques ? Ils se tiennent – ou sont tenus – à l’écart de la culture des beaux-arts, des codes et des lieux qui la constituent : écoles, académies, musées, foires… Si le territoire de l’art brut est celui de « l’homme du commun à l’ouvrage », selon la formule de Dubuffet, on peut aussi dire que le destin de ce dernier est hors du commun, caractérisé par un nœud entre l’Histoire et la vie privée de l’artiste, où l’on ne peut plus distinguer l’un de l’autre.  

Les productions qualifiées d’art brut, qui constituent la collection de Bruno Decharme et que les Anglo-Saxons nomment outsider art, mettent en œuvre des capacités hautement créatives, en prise directe avec les anomalies du monde contemporain : guerres, destructions, injustice sociale et économique, violences à l’égard des enfants (Henry Darger), images de propagande et de régimes oppressifs (Ramon Losa, Lázaro Antonio Martínez Durán, Alexander Lobanov).  Parfois, l’isolement, l’enfermement ou l’exil poussent l’artiste à s’échapper dans une exploration fictive de l’univers (Adolf Wölfli), à réinventer un monde parallèle (Aloïse Corbaz), ou à convoquer revenants, fantômes, créatures hybrides et bêtes monstrueuses qui n’ont cessé d’habiter notre inconscient collectif. Figures anthropomorphes, géographies intimes, dessins-talismans, cartographies mentales, temples indiens et architectures baroques composent ce voyage entre les marges que raconte l’exposition.  Aux confins de l’imaginaire, perdus dans le réel, éclaboussés d’étoiles, les « outsiders » redessinent sans cesse les contours d’un univers qu’ils inventent au fur et à mesure. Avec la liberté et l’altérité comme seules boussoles, ils récoltent, accumulent, remplissent, déchiffrent, noircissent, déforment, amplifient, ordonnancent, bâtissent. Sans filtres, ils s’embarquent dans de grandes épopées célestes. L’obsession et la persévérance du collectionneur Bruno Decharme, qui a consacré sa vie à construire pas à pas l’une des plus importantes collections d’art brut au niveau international, invite à interroger nos certitudes pour finalement poser un regard bienveillant sur la notion même de création, avançant l’idée que faire monde, c’est faire œuvre.